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La Bonne Nouvelle De L sus Selon Saint Marc Lecture Continue


Trois avenues � parcourir
Une lecture de Saint Marc

Les trois passages que nous consid�rons comme les trois principales avenues � traverser sont pr�sent�es d'abord par un tableau qui devrait faciliter le regard ; il montre en un seul ensemble le parcours qui s'annonce et qui fera entrer dans les d�tails du paysage.

Marcher ensuite sur ces trois routes nous fera passer du d�sert � J�rusalem. En rep�rant quelques corr�lations, nous voyons jouer les mots qui d�signent ce qui donne consistance � notre humanit� : soci�t�, peuple, parole... Mais o� nous conduit ce texte ? Vers quel terme ? ou vers quel "commencement" ?


1. Trois textes � lire : vue synoptique

Le tableau ci-dessous permet d�envisager de mani�re synoptique les ensembles que nous consid�rons comme les trois grandes avenues principales sur lesquelles avancer. On remarquera que nous arr�tons notre lecture au chapitre 16, verset 8. Les bibles ajoutent douze autres versets mais les ex�g�tes nous avertissent qu�ils ne sont pas primitifs et qu�ils n�ont �t� ni �crits ni voulus par Marc. Si nous les avions pris en compte, l�ensemble de la lecture en aurait �t� modifi�.


2. Soci�t�

Un v�ritable paradoxe enserre l�ensemble de l�Evangile. La fin contredit le commencement. A la vie en commun que suppose toute organisation sociale, au fait d��tre c�te � c�te en voisinage, de se saluer, de se tourner les uns vers les autres pour s�entraider ou se rassurer, se transmettre les nouvelles, bonnes ou mauvaises, les derni�res lignes du livre opposent un mouvement de fuite et de peur ; un groupe de femmes non seulement prend la fuite ; non seulement elles s��chappent mais elles se mettent hors de soi ; elles s�enfuient du lieu o�, en chacun, s�enracine la parole et surgit le sujet : � Elles s�enfuirent� elles �taient hors d�elles-m�mes ; et elles ne dirent rien � personne car elles avaient peur �.

Quel contraste avec les tout premiers mots du livre qui, de mani�re solennelle, annoncent une nouvelle susceptible de rassurer : � Commencement de la Bonne Nouvelle de J�sus-Christ, fils de Dieu � !

Cette contradiction entre la premi�re et la derni�re ligne fait fonctionner les deux ensembles encadrant le r�cit (1,1-13 et 15,33-16,8).

J�rusalem et le d�sert

Le premier ensemble (1,1-13) a le d�sert pour cadre ; il commence par une citation d�Isa�e �voquant un cri dans le d�sert ; il s�ach�ve par le retrait de J�sus : � Il �tait dans le d�sert pendant quarante jours �. Le dernier ensemble (15,33-16,8) se d�roule � J�rusalem. Le d�sert (1, 1-13)

Le d�sert - espace symbolique oppos� � la vie en soci�t� - est pr�sent� par Marc comme la sc�ne o� se d�ploie d�abord la parole la plus noble qui soit, celle d�un proph�te (� Voix de celui qui crie dans le d�sert �). Il permet ensuite la rencontre du peuple qui peut se r�clamer d�Isa�e dont les accents r�sonnent d�s les premi�res lignes du texte ; c�est l�, aupr�s de Jean dont la parole est une proclamation (� il proclamait �), que viennent � tout le pays de Jud�e et tous les habitants de J�rusalem �, non pour �couter seulement mais pour avouer et confesser leurs p�ch�s comme si soci�t� et repentance avaient partie li�e. On pourrait croire que les derniers mots �chappent � la contradiction ; pouss� au d�sert et n�ayant plus pour compagnie que les b�tes sauvages, J�sus n�est-il pas mis hors soci�t� ? En r�alit�, � les anges le servaient �. D�un simple point de vue phon�tique, ces mots renvoient aux tout premiers : � ange � et � Evangile � se font �cho. Dans les deux cas il s�agit d�une activit� sociale. Si l�Evangile est une nouvelle, l�ange est l�instrument de communication gr�ce auquel les nouvelles se transmettent. Les quarante jours du d�sert, chez Marc, mettent en relief l�acte de communiquer sans lequel il n�est point de soci�t�. J�rusalem (15,33-16,8)

Le dernier ensemble fait contraste avec le premier. On le per�oit d�j� dans le mouvement des personnages. J�rusalem �tait la ville d�o� l�on venait pour rencontrer Jean au d�sert. La voici, au contraire, la ville o� l�on arrive au moment o� s�ach�ve l�aventure de J�sus. Il y avait quelques femmes dont on nous dit les noms et, avec elles, � beaucoup d�autres qui �taient mont�es � J�rusalem �.

Le livre commence avec des mots qui, certes, s�accompagnent d�un cri mais sont heureux � entendre et faciles � comprendre puisque les paroles d�un proph�te les �clairent. L�acte final commence bien lui aussi par un cri ; mais les mots prononc�s ont les accents du d�sespoir : � Mon Dieu ! Mon Dieu ! Pourquoi m�as-tu abandonn� ? �. Pire ! Bien qu�on soit entre membres d�une m�me soci�t�, ce qui est dit n�est pas compris. Il faut traduire la phrase au lecteur mais surtout les spectateurs sont dans la confusion et, sottement, ils se r�f�rent encore � un proph�te, un grand nom du pass� mais qu�ils prononcent � contresens : � Voil� qu�il appelle Elie ! �.

� Il faudrait donc choisir : la parole, la vue� Voir, c�est peut-�tre oublier de parler... � �crit Maurice Blanchot. Il est vrai qu�� part le centurion qui n�est pas du pays, � part quelques �trangers qui ne comprennent pas la langue et interpr�tent de travers les derniers mots du charpentier, � part aussi le jeune homme myst�rieux qui, lui non plus, n�appartient pas � la ville, on ne parle pas. On nous rapporte la demande que Joseph d�Arimathie adresse � Pilate et l�enqu�te qui s�ensuit mais on ne les met pas en sc�ne lorsqu�ils parlent ; on nous rapporte la conversation en omettant de nous la faire entendre. En revanche l�acte de voir est signal� dans chacun des fragments que l�analyse a d�gag�s, except� le dernier.

Le texte s�ach�ve sur le refus de parler. Ce r�flexe est l�aboutissement d�une s�rie d�actes de vision. Ceux-ci illustrent � la perfection les mots de Blanchot : � Voir c�est peut-�tre oublier de parler �. Ces femmes dont les l�vres restent ferm�es gardent les yeux bien ouverts. Au moment o� J�sus expire, � Il y avait� des femmes qui regardaient � distance �; lorsque le corps est descendu, mis au tombeau et d�rob� � la vue, les m�mes femmes regardaient o� on l�avait mis �; lorsque, deux jours plus tard, le sabbat fut achev�, � l�heure o� l�on sort de la nuit ayant lev� les yeux, elles virent que la pierre avait �t� roul�e sur le c�t� �. Enfin � �tant entr�es dans le tombeau, elles virent un jeune homme �.

En chemin (Mc 8,27 � 9,8)

Le d�sert est lieu de la parole et la ville met en sc�ne l�enfermement dans le silence et la fuite de tout interlocuteur. Entre le d�sert o� l�on se retire et J�rusalem o� le peuple s�assemble, un chemin est � parcourir et le d�placement traverse des croisements. On retrouve l�opposition entre retrait et rassemblement, entre parole et silence. Le chemin figure cette rencontre. � J�sus s�en alla avec ses disciples vers les villages de C�sar�e de Philippe et en chemin il posait � ses disciples cette question� � . On est loin du d�sert : on approche d�un lieu rep�rable et nomm�, habit�. On n�est pas encore dans la ville, m�me si l�on s�en approche. Non seulement J�rusalem, la ville o� l�on s�assemble, est bien loin mais J�sus a le souci de maintenir des �carts avec la vie en soci�t� (� J�sus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emm�ne seuls � l��cart sur une haute montagne �).

Voisinage et mise � distance se croisent ; le fonctionnement de parole, lui aussi, v�hicule une semblable ambig�it�. Autant, au d�sert, la parole est limpide comme l�eau du Jourdain, autant, sur le chemin, la parole est compliqu�e, lourde de malentendus. � Qui suis-je, au dire des gens ? �, demande J�sus. Les r�ponses ne sont pas claires, mal ajust�es au pr�sent, pures r�f�rences au pass� : � Jean-Baptiste, Elie ou quelque autre proph�te ! �. Si les propos de Pierre sont pertinents (� Tu es le Messie �), ils entra�nent une sorte de dispute entre le disciple et le Ma�tre. J�sus parle � ouvertement �, sans rien cacher de ce qu�il devient, sans masquer le terme du chemin sur lequel ils avancent. Mais sa parole d�clenche une opposition mutuelle entre l�un et l�autre. La traduction utilis�e emploie deux mots diff�rents pour exprimer le m�contentement de l�un et de l�autre (� Pierre se mit � le morig�ner � / � Mais lui admonesta Pierre �). En r�alit�, le texte grec est le m�me dans les deux cas : � �pitiman � qui signifie � reprocher �. L�expression est assez piquante dans la bouche d�un �l�ve face � celui qui l�instruit. Le contexte met en valeur qu�on est devant un enseignement (� Il commen�a de leur enseigner � / � et voyant ses disciples �). Il appartient au ma�tre de faire des reproches aux disciples ; l�usage ici est boulevers�. On est en pleine confusion.

Le silence des femmes, aux derni�res lignes du livre, est ins�parable de l�acte de voir. Il n�en va pas de m�me en ce lieu mixte qui n�est plus le d�but et qui n�est pas la fin. J�sus regarde ses disciples avant d�adresser ses reproches au premier d�entre eux et la sc�ne de la Transfiguration qui en met plein la vue d�clenche les paroles de Pierre. Il n�en reste pas moins vrai que la parole la plus marquante ne peut surgir qu�au moment o� les yeux sont bouch�s, aveugl�s : � Une nu�e survint qui les prit sous son ombre � et � une voix partit de la nu�e �). La parole est s�par�e de la vue.

Une sorte de jeu de cache-cache entre la vision et la parole traverse l�ensemble du texte. Son fonctionnement semble �vident lorsqu�on compare les extr�mit�s des trois avenues du sens : d�but, milieu et fin.
- Au d�part, J�sus se met � l��cart de la vue humaine (� Il �tait avec les b�tes sauvages �) pour se plonger dans la communication (� et les anges le servaient �).
- Au terme J�sus propose de faire face aux disciples et aux femmes (� Il vous pr�c�de en Galil�e ; l� vous le verrez ! �. La promesse de vision est prise dans la parole (� Allez dire � ses disciples et notamment � Pierre �).
- Par rapport � ces deux extr�mit�s, une double abolition se produit au c�ur du r�cit. D�une part J�sus n�est plus cach� au d�sert : il est sous leurs yeux. D�autre part, la communication promise � la fin est absente : � Regardant autour d�eux, ils ne virent plus personne que J�sus seul �. Le vis-�-vis est impressionnant !


R�capitulatif des corr�lations



3. Soci�t� et royaume

Le v�tement

Dans ce parcours du sens o� nous sommes engag�s, en ces trois points o� nous rep�rons le jeu de la parole dans le fonctionnement de la soci�t�, nous sommes intrigu�s par la place que tient le v�tement.

Ensemble 1 : � Jean �tait v�tu d�une peau de chameau �
Ensemble 2 : � ses v�tements devinrent resplendissants, d�une blancheur telle qu�aucun foulon sur terre ne peut blanchir de la sorte �
Ensemble 3 : � Elles virent un jeune homme assis � droite, v�tu d�une robe blanche �.
En r�alit�, le v�tement est profond�ment symbolique et il a des connotations sociales �videntes. Elles sont frappantes � l�int�rieur de l�Evangile de Marc. Autant l�accoutrement de Jean �voque une mani�re de vivre �r�mitique, autant la robe du jeune homme que les femmes rencontrent au tombeau est la marque d�une soci�t� raffin�e. Le contraste entre l�un et l�autre donne � voir que la mani�re de se v�tir est une marque d�alt�rit�.

Entre l�homme du d�sert et le messager des derni�res lignes, � la Transfiguration, la blancheur du v�tement marque un passage. Jean au d�sert et le jeune homme au tombeau sont diff�rents l�un de l�autre connotant des mondes distincts. La couleur de la robe du jeune homme le jour de la r�surrection renvoie au v�tement qui frappe le regard de Pierre, Jacques et Jean dans l�avenue m�diane : � Ses v�tements devinrent resplendissants, d�une blancheur telle qu�aucun foulon sur terre ne peut blanchir de la sorte �. Or, la blancheur n�y marque pas seulement l�opposition entre la vie rude du d�sert et la vie raffin�e de ceux qui sont habill�s � la fa�on de l�interlocuteur que les femmes �coutent au tombeau. Cet �cart en croise un autre. Jean comme le jeune homme sont sur terre. En revanche, la manifestation �clatante de J�sus marque le croisement entre le lieu o� se d�ploie la soci�t� et un espace tout autre. Certes, le r�cit de la Transfiguration maintient le lecteur dans la civilisation de son temps ; elle fait allusion � des techniques de tissage en cours � l��poque o� Marc �crit. Le foulon, en effet, est une mani�re bien connue de traiter les fils de sorte qu�ils soient serr�s et brillants. Cette fa�on de travailler et de tisser nous maintient � sur terre �. Mais le texte laisse deviner un lieu autre que celui o� l�on travaille la laine ou le lin et qui pourtant touche les regards de ceux qui marchent sur le sol de Palestine. � Il fut transfigur� devant eux et ses v�tements devinrent resplendissants, d�une blancheur telle qu�aucun foulon sur terre ne peut blanchir de la sorte �. Et Pierre de s�exclamer : � Il est heureux que nous soyons ici �. � Ici �, c�est-�-dire l� o� nous marchons, � mi-distance entre le d�sert o� Jean d�ambule v�tu d�une peau de b�te et J�rusalem o� plus tard quelques femmes seront frapp�es devant la robe blanche d�un jeune homme � l�int�rieur d�un tombeau.

Voir et entendre

On a soulign� le contraste, � J�rusalem, entre le silence des femmes et leurs regards : elles voient sans parler. Parole et vue fonctionnent tout autrement lorsqu�il s�agit du v�tement. L�habillement, dans la soci�t�, attire les yeux. Sur le chemin qui s�pare le d�sert de J�rusalem, discours et vision se conjuguent mais de fa�on contradictoire.

La manifestation �blouissante des v�tements de J�sus est encadr�e par deux propos qui s�accompagnent d�un jeu de regards : on parle et on voit. Dans le premier cas, J�sus prend la parole en � voyant ses disciples � (� voyant ses disciples, il admonesta Pierre �) ; dans le second cas, il s�agit de ce que verront ses interlocuteurs dans un avenir qui n�est pas pr�cis�. Les propos tenus fournissent un mot qui permet peut-�tre de d�signer le croisement entre cette terre o� l�on parle et un espace autre avec lequel elle ne peut se confondre. � Il disait � la foule : Il en est d�ici pr�sents qui ne go�teront pas la mort avant d�avoir vu le Royaume de Dieu avec puissance �. � Royaume de Dieu � : l�expression ne d�signe-t-elle pas ce point de rencontre entre deux univers diff�rents ?

On l�a d�j� soulign�, contradictoirement � cette jonction entre le regard et la parole, une voix se fait entendre alors que les interlocuteurs sont aveugl�s : � Une nu�e survint qui les prit sous son ombre et une voix partit de la nu�e : � Celui-ci est mon fils bien-aim� ; �coutez-le". �

Il va de soi que cette mention, tout autant que le v�tement, oblige � rep�rer les corr�lations entre le s�jour au d�sert et les �v�nements de J�rusalem. S�il est vrai que sur la montagne de la transfiguration, la voix se fait entendre dans l�obscurit�, en revanche, au d�sert il en va autrement. Certes, on ne nous dit rien des foules qui entourent J�sus au Jourdain mais on pr�cise que J�sus vit les cieux se d�chirer et l�Esprit comme une colombe descendre vers lui et une voix vint des cieux : tu es mon Fils bien-aim�, tu as toute ma faveur ! � Une d�chirure encore s�accompagne des m�mes mots lors des �v�nements de la fin � J�rusalem : � Le voile du Sanctuaire se d�chira en deux, du haut en bas. Voyant qu�il avait expir�, le centurion qui se tenait en face de lui s��cria : � Vraiment cet homme �tait fils de Dieu �.

La mise en s�rie de ces trois passages est particuli�rement signifiante. Au d�part, J�sus voit d�o� vient la parole. A la fin, lorsque ses yeux se ferment en m�me temps que ses l�vres, sa mort frappe le regard du centurion et laisse passer la voix venue d�en-haut pour se poser sur la bouche d�un officier romain ; une fois J�sus effac�, la voix de l�homme remplace celle de Dieu ! Entre ces deux moments, Pierre, Jacques et Jean, sur la montagne, ont entendu mais, pris dans la nu�e lumineuse, ils n�ont plus rien vu. La voix s�adresse � eux ( � �coutez-le � ) mais entre les mots venus du ciel et le visage de J�sus, ils restent sans voix (Ils ne virent plus que J�sus seul ! �). Entre le d�sert o� J�sus arrive, � venant de Nazareth de Galil�e �, et J�rusalem o� il expire, on mesure le chemin parcouru. J�sus vient de Dieu et Dieu lui-m�me d�signe son origine. Lorsqu�un soldat constate son d�part, la voix d�un homme a remplac� celle du P�re. Sans doute est-ce cette jonction et ce passage que d�signe le mot � Royaume � prononc� sur la montagne.

Dans ce contexte on peut comprendre la correspondance entre le verbe � d�chirer � qu�on trouve par deux fois dans le r�cit, au d�but et � la fin ; dans chacun des deux cas ils accompagnent l��nonciation de l�origine de J�sus, fils de Dieu. Au d�sert, ce sont les cieux qui se d�chirent et l�Esprit repr�sent� par la colombe rend visible, dans le texte, l��cart et la jonction : l�univers de Dieu et celui de l�homme sont li�s mais distincts. Quand les l�vres de J�sus sont closes, le voile du Temple, rep�re symbolique du peuple juif, se d�chire. La juda�t� n�est plus un univers clos ; l�alliance s�universalise et l�occupant romain peut reconna�tre le royaume si tant est que celui-ci est le passage entre le ciel et la terre dont, un instant, les trois disciples eurent l�intuition au jour o� ils voyaient que leur Ma�tre �tait recouvert d�un v�tement marquant, � sur cette terre � et sans la quitter, l�autre de ce monde o� l�on file et o� l�on tisse.

Le temps d�pass�

Le temps des calendriers et des horloges

L� o� les humains s�habillent pour se distinguer, l� o� le v�tement de peau de chameau fait contraste avec la robe blanche, le temps est mesur� et l�on compte les jours, les heures et les instants comme dans toute soci�t� digne de ce nom. Le temps est ins�parable de la vie en soci�t�. En t�moigne la mani�re de parler pour d�signer les moments marquants de la fin. Apr�s la mort de J�sus, l�intervention de Joseph d�Arimathie aupr�s de Pilate d�signe, avec le moment que l�on vit, les coutumes d�un peuple bien particulier (� C��tait la Pr�paration, c�est-�-dire la veille du sabbat �). Comment trouver meilleure mani�re de dire la juda�t� ? De m�me, celle-ci est bien connot�e aux derni�res lignes, lorsque les femmes vinrent au tombeau ; le � premier jour de la semaine � dont il s�agit rappelle les usages d�une culture admis par une m�me soci�t� : � Quand le sabbat fut pass� ! �

L�histoire racont�e par Marc est ins�r�e dans ce temps qui se d�roule. Appelons-le � temps du r�cit �. L�imparfait des premi�res lignes traduit une dur�e pendant laquelle Jean Baptiste accomplit sa mission. � Ces jours-l� � sont interrompus par l�arriv�e de J�sus dont le s�jour au d�sert est calcul� en chiffres : � durant quarante jours �. L�ensemble du r�cit s�ach�ve par l�apparition d�un jour nouveau : � le premier jour de la semaine �. L��cart entre les �v�nements qui se succ�dent est mesur�. Entre le moment o� J�sus s�entretient avec ses disciples, sur le chemin qui m�ne vers les villages habit�s, et celui o� � il fut transfigur� devant eux �, quelques jours se sont �coul�s qu�on a pris soin de compter. En effet, dans le fragment central, il nous est donn� de lire : � Dix jours apr�s, J�sus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean� �.

Le temps cosmique

Le temps que l�on mesure est en relation avec le mouvement du cosmos. Un jour correspond au temps qu�il faut pour que s�accomplisse le mouvement de la terre sur elle-m�me. Le texte articule, en effet, les �l�ments qui traditionnellement composent l�univers avec l��coulement des heures. Le jour du bapt�me ne fait qu�un avec l�ouverture des cieux. Lorsqu�� la fin du r�cit on raconte que les femmes vont au tombeau, il ne suffit pas qu�on nous dise que c�est le matin. Encore faut-il faire saisir le lien avec l�apparition du soleil (� De grand matin, le premier jour de la semaine� le soleil �tant lev� �). Ce lien entre le fil des jours et le tissu de l�univers permet de rendre visible une autre jonction correspondant au passage qui nous a d�j� intrigu�s. Lorsque J�sus cesse non seulement de parler mais de crier, lorsque la voix du P�re cesse de se faire entendre pour laisser s�exprimer le centurion romain, le contraste avec la voix venue des cieux, lors du bapt�me, est saisissant. Au d�sert, les cieux s�ouvrent. Aupr�s de la croix, � l�heure o� le soleil est � son z�nith �� La sixi�me heure � est l�heure de midi � � l�obscurit� se fit sur la terre enti�re �. L�univers o�, tournant sur elle-m�me, la terre fait les soirs et les matins cesse d��tre un tout ; il touche une limite qui permet de deviner un monde autre, tout autre.

Le mot � royaume de Dieu � nous avait permis d��voquer le passage entre la voix de Dieu et celle du centurion. Cette transformation de la nuit en jour permet de confirmer cette sorte de r�volution ; le cosmos n�est plus ferm� sur lui-m�me. Le voici transform� : Dieu ne parle plus d�un monde lointain ; sa parole est dans l�histoire. Dieu n�est plus hors du monde ou, plut�t, ce qui �tait per�u comme ext�rieur, en r�alit�, est en lui.

D�un c�t�, au d�sert, les cieux s�ouvrent et la voix vient d�en-haut ; d�un autre c�t� le ciel est ferm� et la voix est humaine, sur le sol de J�rusalem. On ne s��tonnera pas qu�au moment et au lieu de la Transfiguration s�op�rent le glissement et le croisement entre ce d�but et cette fin. La montagne en est la figure : elle est, � son sommet, le point de rencontre entre les hauteurs du ciel et la base de la terre. Contrairement au d�sert o� le ciel est ouvert, contrairement aussi � l�instant de la mort sur la croix o� l�on sera dans la nuit, une sorte de m�lange entre l�ombre et la lumi�re se manifeste sur la montagne que d�signe le mot � nu�e �.

Le temps proph�tique

Cette rencontre entre J�sus et trois de ses disciples est accompagn�e de deux personnages de l�histoire d�Isra�l : Mo�se et Elie. Au temps du r�cit s�en joint un autre ; appelons-le � temps proph�tique �. La pr�sence de ces deux figures du pass�, au moment de la Transfiguration, marque un croisement. L�Evangile, d�s ses premi�res lignes, cite des paroles prononc�es autrefois par un proph�te (� Selon qu�il est �crit dans Isa�e le proph�te �) et le texte est rappel� en termes clairs. Au moment de la mort du Christ il s�agit d�Elie, mais cette fois la clart� s�est transform�e en confusion : � Elo�, Elo�, lemadabachtani ! �. Lorsque sur la montagne Mo�se et Elie sont mentionn�s, ils n�ont pas la parole ; des mots sont prononc�s mais par Pierre et ils sont, comme ceux de la foule au pied de la croix, d�pourvus de bon sens (� Il ne savait que r�pondre car ils �taient saisis de frayeur �).Faut-il en conclure que le r�cit conduit � l�abolition du temps des proph�tes ?

Soulignons d�abord que le texte fait du proph�te un annonceur ; le texte d�Isa�e qui ouvre l�Evangile pr�pare un avenir que la venue de Jean-Baptiste accomplit. Les derni�res lignes sont encore une annonce, mais celui qui les formule n�a pas de nom (� un jeune homme �) ; il n�est proph�te que si on prend ce terme en son sens �tymologique : celui qui parle avant. Avant qu�elle ne se produise, il dit la rencontre : � Il vous pr�c�de en Galil�e ; c�est l� que vous le verrez �.

Il vaut la peine de saisir l��cart entre le temps de l�annonce et celui de la r�alisation. Au d�but du texte, d�Isa�e � Jean le Baptiste, la distance est longue et se mesure en si�cles ; en revanche, d�s que Jean, le messager annonc�, devient annonceur � son tour, la r�alit� se pr�sente sans qu�on ait besoin d�attendre. Annonce et �v�nement se succ�dent : � Vient derri�re moi celui qui est plus fort que moi� Et il advint qu�en ces jours-l� J�sus vint de Nazareth de Galil�e �.

A la fin, J�sus est annonc� mais d�une fa�on qui intrigue. Sa pr�sence en Galil�e est promise mais, en r�alit�, elle a �t�, � en croire les mots du jeune homme, d�j� pr�-dite : Il vous pr�c�de en Galil�e : c�est l� que vous le verrez comme il l�a dit �. L��tranget� de la situation se redouble dans le fait que cet acte de dire qui, pr�c�dant toute r�alisation, est pr�diction - et d�une certaine fa�on pro-ph�tie - est transmis � ces interlocutrices stup�faites : Allez dire � ses disciples et � Pierre qu�il vous pr�c�de �. En se penchant encore davantage sur le texte, on n�arr�te pas de s�interroger. Une assez longue dur�e s��coule, aux premi�res lignes, entre la pr�-diction d�Isa�e et la venue de Jean-le-Baptiste ; en revanche, au terme, la parole donn�e bute sur le n�ant : � elles ne dirent rien �.


R�capitulatif des corr�lations



4. Peuple de proph�tes

Le temps, la mystique et l�acte de dire

Le temps de la proph�tie s�est transform� au point de laisser la place au temps o� se d�ploie l�acte de dire. Il nous est possible d�y d�celer une dimension mystique. Ne soyons pas �tonn�s que le centre du texte, l� o� la � nu�e � montre le passage de l�ouverture du ciel (au d�but) � l�obscurit� du midi (au moment de la mort) soit encore le lieu de passage entre l�acte de proph�tiser et celui de parler, entre l�acte de Dieu � l��uvre dans les oracles des proph�tes et la dimension mystique des propos �chang�s dans une soci�t� humaine.

Tout le passage central � la voie m�diane - d�un bout � l�autre, relativise la parole des proph�tes. La parole de Pierre �carte les r�f�rences � Elie ou � quelque autre proph�te (� Tu es le Christ �) . Au terme du passage, Elie et Mo�se n�auront pas dit un mot. Le temps de la proph�tie aurait-il d�j� disparu ? Oui et non. Ne fermons pas les oreilles sur les propos de J�sus qui annonce un avenir aux dimensions mystiques : � En v�rit� je vous le dis, il en est d�ici pr�sents qui ne go�teront pas la mort avant d�avoir vu le Royaume de Dieu avec puissance �. La parole est solennelle mais elle annonce d�j� ce Royaume de Dieu dont la proximit� se laissera deviner dans les paroles de la fin. Le ton est proph�tique encore lorsqu�il d�crit, juste avant la Transfiguration, un avenir aux dimensions apocalyptiques : � Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles dans cette g�n�ration adult�re et p�cheresse, le Fils de l�Homme aussi rougira de lui quand il viendra dans la gloire de son P�re avec les saints anges � ; un temps myst�rieux est indiqu� ici ; un temps � venir : les verbes sont au futur. Que pouvons-nous en dire ?

� Qu�il vienne derri�re moi ! �

� Le Fils de l�Homme rougira de lui� � L�expression laisse entendre une mise � distance produite par une certaine mani�re de dire, de prononcer ou d�entendre des paroles (� Celui qui aura rougi de moi et de mes paroles �). Ces mots sont encadr�s dans un discours de J�sus dont la fin ouvre la porte sur un lieu difficile � imaginer que d�signe le mot � Gloire � (� Le Fils de l�Homme rougira de lui quand il viendra dans la gloire de son P�re �). En revanche le discours commence par une expression corr�l�e avec le d�but et le terme de l�Evangile : � Si quelqu�un veut venir � ma suite �.

� Si quelqu�un veut venir � ma suite� � (8,34) ; l�expression reprend mot pour mot l�annonce de Jean-Baptiste, aux tout-d�buts : � Vient derri�re moi celui qui est plus puissant que moi �. � A ma suite � et � derri�re moi � traduisent la m�me expression grecque (

opiss� mou). Dans les deux cas, l�expression d�signe un pr�curseur : celui qui passe devant, un chef de file. La m�me id�e se retrouve aux toutes derni�res lignes. J�sus n�est plus quelqu�un qui invite qu�on le suive ; il est r�ellement celui qui pr�c�de : � Allez dire � ses disciples et � Pierre qu�il vous pr�c�de en Galil�e �.(16,7)

L�invitation � suivre prononc�e par J�sus (8,24) est � regarder d�un peu pr�s. Elle suit une injonction formul�e dans les m�mes termes, adress�e � Pierre : � Derri�re moi �opiss� mou - Satan ! �. La mention de l�ap�tre, distingu� par son nom, renvoie aux derni�res paroles (� Allez dire � ses disciples et � Pierre... �) L��vocation du nom de Satan, jet�e � la figure de ce dernier comme la pire des injures, renvoie au d�but du livre, lorsqu�il nous est dit qu�il �tait au d�sert � tent� par Satan � (1,13).

Le point impossible

Avouons que nous sommes d�concert�s. La m�me expression d�signe un lieu de ch�timent : � Passe derri�re moi Satan � et, juste apr�s, elle ouvre un chemin prometteur : il s�agit en effet, pour celui qui passe derri�re J�sus, de � sauver sa vie �. Nous sommes en plein non-sens ou du moins, nous sommes en un lieu o� le sens s�abolit. Appelons � point impossible � ce passage ind�finissable o� le sens ne peut surgir qu�� condition de disparaitre. Il marque � la fois rupture et jonction.

Est-ce un hasard si ce lieu de contradiction traverse un discours qui, pour le moins qu�on puisse dire est, lui aussi, particuli�rement paradoxal : � Si quelqu�un veut venir � ma suite, qu�il se renie lui-m�me, qu�il se charge de sa croix et qu�il me suive. Qui veut en effet sauver sa vie la perdra mais qui perdra sa vie � cause de moi et de l�Evangile la sauvera. Que sert donc � l�homme de gagner l�univers s�il ruine sa propre vie ? Et que peut donner l�homme en �change de sa propre vie ? Car celui qui aura rougi de moi et de mes paroles dans cette g�n�ration adult�re et p�cheresse, le Fils de l�Homme aussi rougira de lui, quand il viendra dans la gloire de son P�re avec les saints anges ! �

Que peuvent bien signifier ces oppositions � sauver � et � ruiner �, � perdre � et � gagner � ? A coup s�r, elles ne peuvent �tre comprises sans relation avec le monde de la parole. D�s la premi�re ligne, le mot � Evangile � d�signe l�espace o� les mots font des discours ou des r�cits et transmettent des nouvelles. Cette histoire en cours o� J�sus, face � des interlocuteurs, prononce des mots dont on peut rougir croise un autre univers ; celui-ci aussi est en rapport avec la parole mais tout autrement que celle qu�on peut lire ou entendre dans nos langues et nos livres humains : � Le Fils de l�Homme viendra dans la gloire de son P�re avec les saints anges. � D�embl�e, nous l�avons constat�, le mot � ange � est ins�parable du mot � Evangile � et de la communication que celui-ci permet.

A coup s�r �galement ces oppositions (� sauver � et � ruiner �, � perdre � et � gagner �) ne peuvent �tre comprises sans relation avec le mot � croix � dont la port�e se manifestera dans la sc�ne finale, � � la sixi�me heure � quand la rotation de la terre et du soleil semblera s�inverser. A cet instant la relation au P�re se manifestera, non seulement dans le cri d�appel de J�sus rendant le souffle, mais dans la reconnaissance du centurion (� Vraiment cet homme �tait Fils de Dieu �). J�sus sort du monde, de l��tre du monde, du monde tel qu�il est. Cette sortie est pr�sent�e non comme plong�e dans le n�ant. Elle manifeste une jonction entre le cri du Galil�en et la parole du romain : � Vraiment cet homme �tait Fils de Dieu �. Cette jonction entre sortie hors de l��tre et jaillissement de la parole ne serait-il pas l�entr�e dans l�univers du P�re, sa Gloire ? � Perdre sa vie � reviendrait peut-�tre � ouvrir les l�vres pour trouver les mots qui disent la vie. � Gagner la vie � serait alors entrer dans le langage. Au monde de l��tre serait joint un univers � autrement qu��tre �, pour parler comme Levinas, celui o� l�on parle en v�rit�.

C�est encore Emmanuel Levinas qui peut nous aider � saisir en quoi ces oppositions (� sauver � / � ruiner �, � perdre � / � gagner �) ont affaire avec la parole. Lorsque nous nous parlons, nous sommes d�j� constitu�s comme des sujets qui, se tournant vers autrui, disent la r�alit� des objets du monde ou des �v�nements tels qu�ils sont. Avant d��tre constitu�s comme sujets, nous sommes pr�c�d�s par ce que le philosophe appelle � Le Dire �. Le mot fait entendre, ind�pendamment des messages �chang�s, cette sortie de soi vers l�autre � qui l�on parle. Il d�signe ainsi le fait de ne pouvoir exister que pour autrui, livr� � lui, perdu en lui, otage entre ses mains. J�entre alors dans le langage sans m�engluer dans mon discours mais en r�pondant � cette sorte de sommation qui me pr�c�de et en me livrant tout entier � l�autre. Parler, oui ! Parler mais en m�arrachant � ce que je suis, en sortant de ce qu�on appelle commun�ment mon �tre ! Parler mais dans � le d�s-int�resse-ment �. Lorsque, dans mes discours, je me souviens ainsi de cette vocation qui me pr�c�de, je suis t�moin de l�infini de Dieu. Si j�ob�is � cette vocation qui traverse mes paroles, ma vie se retourne au point de se d�centrer : j�ob�is � l�ordre de Dieu, que j�en sois conscient ou non.

Nous nous sommes interrog�s sur le passage du proph�tisme � l�acte de parler que nous avons �t� amen�s � consid�rer comme mystique. Levinas, pour sa part, affirme : � On peut appeler proph�tisme ce retournement o� la perception de � l�ordre � co�ncide avec la signification de cet ordre faite par celui qui y ob�it. � (AE ; p.233). Expression difficile qu�il faut essayer de comprendre. Lorsque je suis tourn� vers autrui, quel que soit le contenu des propos que je lui adresse, si ma parole m�arrache � moi-m�me, si elle est tout enti�re don de moi, abandon de moi, elle est ob�issance � un ordre venu d�un univers autre que celui o� les mots signifient et disent ce qui est. Si elle est � selon le jeu de mot de Levinas � � d�sint�ressement �, elle est ob�issance � un ordre comparable � celui que J�r�mie re�oit lorsqu�il lui est dit : � Voici que j�ai mis mes paroles en ta bouche. � (Jer 1,9).

� Le Fils de l�Homme viendra dans sa gloire � : o� est-elle cette gloire ? Nulle part ailleurs que dans le cours de nos entretiens, lorsque nous cessons de nous agripper � nous-m�mes pour n�exister que pour autrui. C�est en ce point que nous conduit l�Evangile, dans la mesure o� nous r�pondons � l�invitation qui est au � point impossible � du texte de Marc : � Si quelqu�un veut venir � ma suite, qu�il se renie lui-m�me �. Dans la mesure o� nous r�pondons, les discours que nous pronon�ons nous font entrer dans cette soci�t� que J�sus d�signe comme le � Royaume de Dieu �. Nous pouvons traduire en disant qu�elles font une � soci�t� de proph�tes �.


5. Commencement

Nous sommes partis de ce qui nous semblait une contradiction. L�Evangile commence par l�annonce d�une Bonne Nouvelle ; il promet une mani�re de vivre en soci�t� qui soit heureuse. Il s�ach�ve par un comportement de fuite. Un groupe de femmes sombre dans une v�ritable panique, incapables de parler.

Avant de r�soudre cette contradiction, constatons que l�entr�e dans le texte comme la question du commencement sont des soucis communs aux quatre Evang�listes. C�est bien clair pour Saint Jean : � Au commencement �tait le Verbe ! �. Les deux autres synoptiques s�expriment un peu diff�remment : � Livre des origines � ou de la gen�se � de J�sus-Christ, fils de David, fils d�Abraham �. Luc est sans doute le plus original mais c�est lui qui peut nous aider, sans doute, � surmonter cette contradiction qui encadre le livre de Marc. Luc ne se contente pas de parler des �v�nements concernant J�sus et ses origines. Il note, d�s les premi�res lignes que le r�cit qu�il va livrer a �t� pr�c�d� d�une relation. Avant l�histoire concernant J�sus, se situe celle d�une relation entre le narrateur et un certain Th�ophile. Le � Commencement � n�est pas seulement un objet dont on parle, il est un entretien entre celui qui dit et l�autre � qui il adresse son texte : � J�ai d�cid� apr�s m��tre inform� exactement de tout depuis les origines, d�en �crire pour toi l�expos� suivi �. Deux commencements se croisent dont le premier pr�c�de le second ; le premier est une relation entre deux personnes, Luc, le narrateur, et un certain Th�ophile. Le second est celui des � origines � des �v�nements dont il va parler. L�acte de se tourner vers autrui (� pour toi �) est un commencement qui pr�c�de le r�cit des � origines �.

Avant l�acte de dire, avant de commencer � dire, Luc affirme que le commencement lui-m�me est pr�c�d� ; l�acte de se tourner vers autrui (� pour toi �) est ce qui pr�c�de tout discours. Si celui-ci se d�roule dans le temps, il faut dire que le temps est pr�c�d� par ce qui, �chappant au temps, autre que le temps, tourne vers autrui.

Lorsque Marc �crit : � Commencement de l�Evangile de J�sus-Christ, fils de Dieu �, de quel commencement s�agit-il ? Celui d�une relation dans lequel sont relat�s des �v�nements ? Celui des �v�nements eux-m�mes ?

Mais, d�abord, pourquoi dire � commencement � lorsque les destinataires du texte, ouvrant le livre, constatent que l�Evangile est de fait � son d�but ? Pourquoi sinon pour marquer comme une d�chirure entre les mots qui s�alignent et ce qui les pr�c�de ? Dans sa brutalit�, l�expression indique une sorte d�arrachement, de d�chirure � l�int�rieur d�un tissu invisible. En marquant ce commencement, on signale son lien avec l�autre commencement.

Devant ce myst�re du commencement, on peut tenter de r�fl�chir une contradiction qui oppose la solennit� des premiers mots et la panique silencieuse des femmes toutes tremblantes au sortir du tombeau : � Elles sortirent et s�enfuirent du tombeau, parce qu�elles �taient toutes tremblantes et hors d�elles-m�mes. Et elles ne dirent rien � personne, car elles avaient peur� � On a remarqu�, en lisant l�ensemble textuel dont ces lignes sont la conclusion qu�� plusieurs reprises les femmes regardaient avec attention, sans parler. Arrive un moment o� tout bascule. Elles voient ce jeune homme en robe blanche ; elles voient que la pierre a �t� roul�e. Elles ont maintenant � parler, c�est-�-dire � se tourner vers autrui et non plus vers un cadavre, � sortir de soi-m�me (� elles �taient hors d�elles-m�mes �). Passer en v�rit� d�une chose que l�on a vue ou d�un �v�nement que l�on a v�cu au r�cit que l�on en fait ou � la description que l�on en donne oblige � passer par ce qu�on a appel� � le point impossible � ; en l�occurrence c�est pr�cis�ment entrer dans l�Evangile. Celui-ci est � la fronti�re entre l�univers des choses que l�on voit, que l�on peut dire ou raconter et cet univers qui lui est ins�parable, l�acte de dire. L�expression de Levinas (� Autrement qu��tre �) nous permet de le d�signer. Peut-�tre correspond-elle � celle de J�sus qui parlait de � Royaume de Dieu �. Il fallait sans doute que � les femmes soient hors d�elles-m�mes �, c�est-�-dire � d�s-inter-ess��es � pour en venir � ouvrir les l�vres.

Ce texte de Marc, en marquant son � commencement �, conduit jusqu�au point o� ce commencement est ancr�. Sur quoi s�appuie-t-il ? Pr�cis�ment sur sa fin qui marque la plong�e dans l�acte de dire qu�il faut savoir distinguer de la chose dite ou de l��v�nement racont�.

Un indice est � souligner qui confirme l�originalit� que nous soulignons. Ces femmes, bien que � hors d�elles-m�mes �, sont � J�rusalem. C�est bien dans les environs de la ville que, d�apr�s les divers t�moignages, J�sus fut d�abord reconnu par ses disciples. Le rendez-vous donn� par le jeune homme, en r�alit�, est en Galil�e. C�est bien de Galil�e, effectivement, qu�arrive J�sus d�s les premi�res lignes du texte : � Et il advint qu�en ces jours-l� J�sus vint de Nazareth de Galil�e �. On s�aper�oit � ce d�tail qu��crivant son Evangile, Marc se reconna�t pris dans le mouvement qui agite les femmes au moment o� il leur est enjoint de parler. L�acte de dire a travers� non seulement les temps mais les lieux.

� Commencement de l�Evangile de J�sus-Christ, fils de Dieu �. Ce commencement est-il celui d�une relation humaine qui pr�c�de un r�cit ? Est-il celui d�une histoire concernant J�sus-Christ ? En r�alit�, l�histoire racont�e est celle de l�acte de dire � l��uvre dans toute relation. Le terme du r�cit est ce qui permet son commencement.

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